« Ma musique est en évolution, non une révolution »
Maurice Ravel

 

  • PREMIÈRE PARTIE – La maison une fin d’après-midi à la campagne

Un enfant qui pourrait sortir d’un poème de Prévert. Un gamin qui refuse de faire sa page.

J’ai pas envie de faire ma page
J’ai envie d’aller me promener
J’ai envie de manger tous les gâteaux
J’ai envie de tirer la queue du chat et de couper celle de l’écureuil
J’ai envie de gronder tout le monde
J’ai envie de mettre maman en pénitence

Pour le punir sa mère enferme l’enfant dans sa chambre, au pain sec. Resté seul l’enfant en colère détruit tout ce qui constitue son environnement familier : bêtes et objets en voient de toutes les couleurs mais les victimes s’animent…

Il y a d’abord les objets,

Ding, ding, ding, ding, ding, ding!…
Et encore, ding, ding, ding!
Je ne peux plus m’arrêter de sonner!
Je ne sais plus l’heure qu’il est!
Il m’a ôté mon balancier!
J’ai d’affreuses douleurs de ventre!
J’ai un courant d’air dans mon centre!
Et je commence à divaguer!
Ding, ding, ding…
Laissez-moi au moins passer,
Que j’aille cacher ma honte!
Sonner ainsi à mon âge!
Moi, moi qui sonnais de douces heures,
Heure de dormir, heure de veiller,
Heure qui ramène celui qu’on attend,
Heure bénie où naquit le méchant Enfant!
Peut-être que, s’il ne m’eût mutilée,
Rien n’aurait jamais changé
Dans cette demeure
Peut-être qu’aucun n’y fût jamais mort…

… il y a ensuite les imprimés,

LE PETIT VIEILLARD
Deux robinets coulent dans un réservoir!
Deux trains omnibus quittent une gare
A vingt minutes d’intervalle,
Valle, valle, valle!
Une paysanne,
Zanne, zanne, zanne,
Porte tous ses œufs au marché!
Un marchand d’étoffe,
Toffe, toffe, toffe,
A vendu six mètres de drap! (Il aperçoit l’Enfant et se dirige vers lui de plus malveillante manière.)
L’ENFANT (affolé)
Mon Dieu! C’est l’Arithmétique!
LE PETIT VIEILLARD, LES CHIFFRES (soulevant les feuillets et piaillant)
Tique, tique, tique! (Il danse autour de l’Enfant en multipliant les passes maléfiques.)
LE PETIT VIEILLARD (en se pinçant le nez)
Quatre et quat’dix-huit,
Onze et six vingt-cinq,
Quatre et quat’dix-huit,
Sept fois neuf trente-trois
L’ENFANT (surpris)
Sept fois neuf trente-trois?
LES CHIFFRES
Sept fois neuf trente-trois, etc. (ils sortent de dessous les feuillets)
L’ENFANT (égaré)
Quatre et quat’
LE PETIT VIEILLARD (soufflant)
Dix-huit !
L’ENFANT
Onze et six ?
LE PETIT VIEILLARD (même jeu)
Vingt-cinq !
L’ENFANT (exagérant résolument)
Trois fois neuf quat’cent!

… il y a enfin les animaux (fin premier tableau et deuxième tableau) – Le passage entendu ici est extrait du deuxième tableau

L’ÉCUREUIL (sarcastique)
Sais-tu ce qu’ils reflétaient, mes beaux yeux?
Le ciel libre, le vent libre, mes libres frères, au bond sûr comme un vol!…
Regarde donc ce qu’ils reflétaient, mes beaux yeux tout miroitants de larmes!
L’ENFANT
Ils s’aiment… ils sont heureux… Ils m’oublient…
  • DEUXIÈME PARTIE – Le jardin

Cette deuxième partie s’ouvre sur une musique « nocturne » qui mêle « insectes rainettes chouette brise et rossignol ». C’est au tour des arbres et des bêtes (le rossignol, la libellule, la chauve souris et l’écureuil) de se plaindre de l’enfant.

Tout ce peuple animalier va alors se ruer sur l’enfant bien décidé à le faire payer de sa méchanceté et finalement tout un peuple qui reconnait soudain l’enfant à son appel « maman » : Soignant un écureuil blessé dans la dispute finale, les animaux sont touchés par l’enfant. Le jardin devient alors un paradis de tendresse et de joies animales.

Les bêtes
Il est bon, l’Enfant, il est sage, bien sage…

 

  • POUR ALLER PLUS LOIN …

L’enfant et les sortilèges, c’est une multitude de personnages fantasmagoriques, d’objets qui prennent vie, d’animaux qui parlent, d’arbres qui exhalent leur plainte. Le jardin, c’est l’espace de la violence ordinaire de l’enfant : abîmer les arbres, maltraiter les bêtes, et même les tuer. Tous ces êtres lui rappellent de façon poignante toutes les violences qu’ils subissent à cause de lui. Alors, il découvre ce que l’autre ressent et il se sent bien seul.

Car l’enfant aura entendu et compris les souffrances de ces bêtes ; il rendra le bien pour le mal et blessé lui-même soignera un écureuil atteint dans la bagarre. L’enfant et les Sortilèges, c’est l’apprentissage de la compassion, de l’altérité et de la fraternité comme si cette fantaisie lyrique était aussi un opéra initiatique.

Cette évolution entre l’enfant en révolte et la prise de conscience de l’autre va conditionner les choix compositionnels à de Ravel.

RETOURS EN PHOTOS ET VIDÉOS

“La musique donne une âme à nos coeurs et des ailes à la pensée.”

~Platon