La musique stridente de « Psychose», la tension croissante de « Les Dents de la Mer», le thème implacable de « Halloween » : les films d’horreurs possèdent une identité sonore incontournable. Mais comment créer une musique anxiogène qui nous donne la chair de poule ?
La musique d’horreur exerce un rôle clé au cinéma : manipuler le spectateur pour accentuer son sentiment de mal-être et faire monter la tension selon le dénouement de l’action visuelle. Au-delà d’une écriture musicale savante, le genre de l’horreur fait appel à de nombreuses astuces souvent subtiles, à la fois musicales et auditives, qui peuvent agir également psychologiquement et physiologiquement.
Alors que les premiers films d’horreur, à l’époque du cinéma muet, font appel à des extraits sombres ou menaçants de la musique classique pour leur accompagnement, l’arrivée du son et de la musique mène à un nouveau besoin cinématographique : une musique qui fait peur. Caractérisé par une grande liberté musicale, ce nouveau genre est celui « qui a autorisé d’aller vers les plus grandes folies musicales […]. Quand des compositeurs comme Bernard Herrmann, qui sont quand même des compositeurs classiques, se sont confrontés à l’horreur, ils ont pu expérimenter et sortir de leurs terrains de confort », explique Benoit Basirico, journaliste spécialisé en musique de film et directeur du site cinezik.fr.
Ce nouveau genre musical repose notamment sur un élément clé de la tension : le silence. Un élément non-musical puissant lorsqu’il est savamment mélangé aux codes de la musique d’horreur : « La relation entre la musique et le silence est très importante pour exprimer au spectateur quand il doit avoir peur, et quand il doit être rassuré. Cette relation entre le silence et la musique n’a pu apparaître qu’à partir du cinéma parlant. Quand il s’agit du cinéma muet, le silence n’existe pas », explique le journaliste. Un jeu de tension et de relâche essentiel dans la création d’un sentiment d’angoisse.
Semblables à des cris humains, les cris stridents de Bernard Herrmann font également référence à un aspect psychologique intrinsèquement lié à la musique d’horreur : confronté à des sons naturellement angoissants que l’être humain est biologiquement conditionné à craindre, tels que des cris et autres hurlements animalesques, l’état psychique du spectateur est immédiatement mis en état d’alerte par la réaction instinctive du cerveau :
Si les cordes aiguës ou graves servent souvent à transmettre le sentiment d’une menace sous-jacente, celui-ci est amplifié par une accélération du tempo de la musique. Cela mène inconsciemment à une accélération du battement de cœur du spectateur, qui à son tour transmet au cerveau le sentiment de danger et d’une menace qui approche. Une technique largement répandue dans la musique de cinéma, mais nul n’en fait meilleur usage que John Williams dans la musique des Dents de La Mer (1976) de Steven Spielberg :
Aller dans le sens de l’image, ou contredire l’image ?
Si une musique dissonante, stridente, soudaine et répétitive peut créer une atmosphère de malaise, l’arrivée inattendue d’une mélodie innocente ou joyeuse peut également transmettre un malaise : l’écart inattendu entre une scène horrifique et une musique optimiste crée à la fois un décalage gênant mais permet également de prendre un certain recul et de supporter une scène particulièrement terrifiante, voire d’en rire jaune. Plus la musique est positive, plus le malaise est prononcé :
« La musique peut soutenir l’angoisse, aller dans l’effroi […] et à l’inverse, la musique peut aller dans le contrepoint, apporter une voix parallèle. Il y a des films gore avec du jazz joyeux en contrepoint ; des scènes de cinéma d’horreur dans lesquelles il y a une petite comptine […]. Le contrepoint est autorisé dans le cinéma d’horreur, parce que ça n’atténue pas l’effroi, mais au contraire ça l’augmente », explique Benoit Basirico.